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La Diagonale des Fous, une course intense

Temps de lecture : 11 minutes

photo : Flowhynot

Par où commencer pour raconter cette première aventure sur l’île intense ?

J’ai préféré attendre quelques jours afin de poser un regard à demi plus lucide sur ce que je viens de vivre.

« Plus jamais ! Des paysages magnifiques mais un parcours très technique et ne correspondant pas à mes qualités » ont été mes premières pensées à l’arrivée. Et pourtant, 2 jours après en réfléchissant à tout ce qui suit, la donne change.

photo : Flowhynot

Un départ dans la fournaise populaire

Jeudi 21/10, après une remise de dossards éprouvante la veille, arrive le moment de rentrer dans les SAS avant le grand départ. Une autre épreuve à elle toute seule tellement tous les participants sont excités et que le bon ordre de marche est dur à faire respecter. C’est aussi ça le Grand Raid de La Réunion. On m’avait prévenu.

Enfin dans le SAS, je discute avec quelques coureurs du team Ouest Trail Tour ,la bannière sous laquelle je dispute cette course. Puis je fais le maximum pour continuer de me reposer et ne pas perdre d’énergie avant un départ annoncé bouillant.

21h approche, il est temps de rejoindre la ligne de départ sous les palabres de Ludovic Collet. Ce qui se présente devant mes yeux est indescriptible… Une foule à perte de vue.

L’hymne saisissant de La Diagonale retentit et c’est parti. Nous nous élançons pour 160km et plus de 9000m de dénivelé. Quand on y pense c’est insensé.

Le public est en délire. C’est impossible de retranscrire cette sensation dans ces quelques lignes, il faut le vivre pour le croire. Et ce, pendant 15km…! De quoi nous faire perdre tous nos moyens et accélérer déraisonnablement au risque de le payer très cher plus tard.

Me concernant je me mets tout de suite dans ma bulle en essayant d’y faire abstraction. Tant pis j’en profite moins, mais ça me parait important pour tenir mon objectif.

photo : Grand Raid

Entre 30 et 35 heures

Mon objectif, parlons-en. Je ne l’avais pas trop dévoilé jusqu’à là. Déjà il était de finir ce premier 100 miles bien sûr. Mais je m’étais aussi fixé un temps assez « ambitieux » de 30 à 35h. Un résultat que l’on m’avait annoncé assez gourmand pour une première participation après seulement 2 ans et demi de trail au compteur et une TDS qui avait laissé quelques traces 2 mois auparavant.

Immédiatement je repère Antoine Guillon, monsieur Diagonale que l’on surnomme aussi le métronome. Je me mets dans ses « roues» et décide de ne pas le doubler car je sais que c’est un maître en matière de gestion de course. C’est aussi ça cette première participation : apprendre.

Je resterai dans son groupe pendant environ 15 à 20km avant que son rythme « tranquille » s’avère tout de même bien assez rapide pour que je me dise qu’il faut que je ralentisse un peu pour respecter cet adage que j’entends depuis 2 ans « tu dois arriver le plus frais possible à Cilaos au km 62, c’est là que la course commence ».

À partir de ce moment je gère clairement mon effort. Endurance fondamentale et marche. Plein de coureurs me dépassent. Ça fonce dans les descentes qui sont jusque là faciles. Me concernant c’est hors de question. Je ne veux pas revivre le « fumage » de quadriceps vécu à la TDS ou me déconcentrer et chuter dès le début comme il y a 2 mois.

Je continue comme ça sans me soucier des autres ni d’un éventuel classement (de toute façon à ce stade ça ne veut rien dire) jusqu’au ravitaillement de Nez de Boeuf, départ pour moi de la première grosse difficulté.

Première surprise ma petite famille n’est pas là… Je m’inquiète un peu. Je me renseigne: les assistances n’ont pas été autorisées à monter !… Ça commence mal, moi qui avait prévu de recharger en barres à cet endroit… J’y fais au maximum abstraction. J’enfile ma veste car je sais que là haut il fera froid durant la nuit et je repars.

Nous continuons donc à traverser les sentiers, dont Mare à Boue qui était finalement assez sec puis la terrible partie de Kerveguen. Je la redoutais. Je n’avais pas tort. Un terrain sur lequel je ne suis pas à l’aise composé que de cailloux et de racines. Puis arrive le point final de cette portion et cette descente terrible, technique, de plus de 800m de dénivelé négatif sur seulement 2km. Ici, je sais que ça n’est pas pour moi. Une seule target « ne pas tomber et se blesser ». Cilaos est juste en bas !

photo : Flowhynot

Cilaos avant la solitude de Mafate

Sorti de ce premier enfer, ça va. Peut-être pas dans la situation « de ne pas avoir couru » comme on me l’avait dit. Mais tout roule.

Je retrouve Émilie et les filles. Je me change entièrement, recharge énormément en nutrition car après c’est Mafate et une dizaine d’heures sans voir personne. Je repars.

À la base de vie je retrouve Sylvain de l’équipe OTT, qui vient de chuter lourdement. Quand je disais que le passage précédent était terrible. Je rejoins aussi Julien, autre membre de l’équipe, qui était parti très vite mais qui semble encore bien frais.
Nous repartons ensemble vers le col du Taibit et la porte d’entrée dans Mafate.

Environ 800m de D+ qui passe très bien malgré la chaleur qui commence à se faire sentir au petit matin.

Je quitte Julien sur la 2ème partie de l’ascension, où je croise Nicolas Rivière, l’un des favoris, qui abandonne, pour descendre ensuite vers la Mecque des trailers : Mafate.

Cette partie aura duré une dizaine d’heures. En effet, une fois rentré on y sort que par ses pieds ou l’hélico.

C’est aussi la partie dont je me souviens peut-être le moins… J’ai des souvenirs de la beauté incroyable des paysages mais pas trop du reste si ce n’est la fin… Vous verrez plus bas.

En effet, même si j’aime la chaleur, les 40 degrés ressentis ont usé petit à petit mon organisme… 2 jours après je vois surtout des montées de marches à n’en plus finir, des ruisseaux dans lesquels que je m’inondais, ainsi que des participants qui m’avaient doublé quelques heures avant avec des quadriceps qui n’existaient plus où des « moteurs » en panne. Ah si ! Aussi Patrick Montel au ravitaillement de Marla! Cette voie qui criait « allez Marie-José Pérec » quand j’étais petit !

Je ne sais pas quelle heure il est, mais j’arrive enfin vers la fin de cette aventure dans l’aventure. Elle commence par une nouvelle descente terrible. Je commence à me sentir très faible. Je pense juste à ne pas prendre de risques à ce stade. Vers le bas je croise une nouvelle figure de la discipline : Sylvaine Cussot. Elle semble en difficulté. Je lui demande si tout va bien, mais elle me répond qu’elle soupçonne une fissure du tibia… Cette Diagonale est impitoyable.

J’entame maintenant la montée de Roche Plate. Un trailer me l’avait annoncé terrible quelques instants avant. Elle a failli m’être fatale. 1h30 d’ascension pour 800m de D+ en plein soleil. Je suis un zombie. Moi qui passe plutôt bien les montées, là j’ai l’impression que chaque pas est une montagne. C’est le cas de le dire.

J’arrive enfin au ravitaillement. Je mange. Je me pose quelques instants. Mais ça ne va pas. Il fait 40 degrés et pourtant les frissons m’envahissent. J’ai l’impression que mon corps se vide de son énergie comme un sablier que l’on vient de retourner. Je décide d’aller voir les médecins. Les constantes sont bonnes, mais je ne me sens pas mieux. L’abandon commence sérieusement à pointer le bout de son nez sur ce km 107. Sur leurs conseils je décide de m’allonger et de passer quelques instants sous la couverture de survie. Comme quoi il sert au final cet élément du matériel obligatoire.

10 à 15 minutes plus tard, après avoir vu Sylvaine me dépasser depuis mon lit de fortune (elle n’a pas abandonné ! Quelle courage) et Sylvain me rejoindre (lui aussi quel courage), je prends mon courage, cette fois, à 2 mains et décide de repartir sous les yeux interloqués des médecins.
« Déjà ? » me demandent ils. « De toute façon je n’ai pas le choix car personne ne viendra me chercher ici » leur répond-je. Sous un petit rictus il me disent que ça n’est pas faux et me souhaitent bon courage accompagné de quelques applaudissements.

Et là ! Magie du corps humain. 10 minutes auparavant, marcher était un calvaire, et maintenant je cours. Même dans les montées. Et encore plus étonnant, dans les descentes, où je trouve une certaine confiance ! Comme si on m’avait changé les jambes. Je n’y crois pas. C’est fou !

Du coup je rejoins facilement, en regagnant du temps et des places, la base de vie de 2 Bras au début de cette deuxième nuit. Étape qui marque la fin de ce 2ème tiers de parcours.

J’y retrouve 2 amis, Nico & Romain, venus pour nous ravitailler. Que ça fait du bien de voir enfin des têtes connues et proches.

Je change mes chaussures et chaussettes. Je constate les dégâts qui sont infimes. Une ou deux crevasses et une mini ampoule. Une bonne dose de Nok, je recharge en barres et c’est reparti. À nouveau, Sylvaine m’a doublé. Nous nous croiserons comme ça jusqu’à sentier Kalla qu’elle me décrit comme « merdique ». Une fille très sympa sur les quelques mots que nous avons changé. Toujours du positif et des encouragements malgré sa douleur.

Arrive alors la porte de sortie de Mafate, ce « mur de pompier mais sans échelle » annoncé par Antoine Guillon. Ça n’était pas faux ! Une montée avec un pourcentage terrible composée d’échelles, de cordes, de passages à escalader. Plus du Sky Running que du trail. Et cela au km 120-125 après plus de 20h d’effort. Je m’y étais préparé mentalement donc ce passage passe tout de même plutôt bien au final.

photo : Graindboté

Fin du 2ème tiers de course, l’arrivée est en vue

Ensuite arriveront les sentiers plus que sauvages de Chemin Ratineau et Kalla. Ces endroits où l’on se demande comment la nature a pu créer des trucs pareils. Je m’accroche à toutes les branches et rochers possibles pour descendre ou remonter dans cette jungle.

S’en suit à nouveau une descente interminable, où je ne suis de nouveau pas à l’aise, vers La Possession. C’est le lieu où je vais enfin retrouver Émilie, Ambre et Ines au km 136. Je serre les dents car pour moi, même si il reste quelques difficultés, une fois arrivé là bas je serai quasiment sûr de terminer.

Un coup d’oeil enfin sur ma montre et je constate que je suis largement dans mes temps. J’envisage même me rapprocher des 31 heures. Bon c’était un peu sous estimer la fin de parcours.

J’arrive au ravitaillement. Je me change et mets le maillot obligatoire pour finir. Émilie m’encourage et m’annonce que je tourne autour de la 50-60eme place. Je suis plutôt content et repars vers le chemin de Anglais.

Bizarrement, alors qu’elle est détestée de la plupart des trailers, j’ai plutôt apprécié cette partie. Même si je me suis surtout employé à ne pas me faire une cheville à 20km de la fin, je n’ai pas trouvé cette partie si difficile. Je suis même sûr qu’avec plus d’expérience, de fraîcheur et de confiance elle est « courable » !

J’en termine avec ce passage où les bâtisseurs de ce sentier avaient le compas dans l’oeil au moment d’aligner les pavés et Emilie me dit « Tu as géré ! Tu as gagné pas mal de temps sur les estimations ! ».

Allez il ne reste plus que 10km !

Je croise beaucoup de Réunionnais qui me disent que je fais un super classement. Je leur raconte plus ou moins mon histoire, et tous me disent que je reviendrai bientôt pour jouer plus haut. Ça on verra. Pour le moment il faut déjà finir.

J’entame la dernière montée. Pas difficile, mais « chiante » à ce stade de la course. Je ne pense plus qu’à une seule chose : descendre ces 4 derniers kilomètres terribles du Colorado jusqu’au stade de La Redoute !

Ça y est toutes les personnes que je croise me félicitent maintenant (il est 5h du matin et il y a encore des gens dehors ! Quand on dit que cette course est hors norme au niveau de l’ambiance) en me disant qu’il ne reste que de la descente. Oui mais quelle descente ! C’est un peu le verre de « goutte » que l’on décide de prendre à la fin d’une soirée trop arrosée pour se terminer !

photo : Graindboté

4km de véritable enfer et c’est terminé !

Il fait encore nuit, je vois le stade et entends la musique en bas. Juste là ! Ça me motive. Les coureurs réunionnais du Zembro me dépassent et cours dans ce couloir de la mort. Ok ils sont plus frais, mais tout de même ! Comment font-ils ! Même en marchant je suis à la limite de chuter à chaque pas !

1h pour « avaler » ces 4000 mètres et ça y est c’est la délivrance. Bon je ne passerai pas en dessous des 32h comme espéré quelques heures avant mais c’est pas grave. Le jour se lève en même temps que mon arrivée. J’y vois un signe. Plus que 500m vers le Stade de la Redoute que je regardais émerveillé 3 ans avant à la télé. J’accélère ! Enfin je peux courir !

L’entrée est là ! Ambre m’attend avec le Gwenn Ha Du (ouai on aime bien coller notre drapeau partout nous les bretons !). Nous récupérons Émilie et Ines pour filer vers la ligne d’arrivée qui n’est plus qu’à quelques mètres sur cette piste de terre battue.

Ça y est ! Les larmes montent. Nous nous serrons dans les bras. Je viens de réaliser le rêve que j’avais eu 3 ans auparavant. Ce rêve arrivé beaucoup beaucoup beaucoup plus vite que je ne l’avais envisagé à l’époque. Là où trail, dénivelé, seuil, vma, nutrition, vélo, renfo etc… m’évoquaient beaucoup moins de choses que whisky coca, bière et autres plaisirs de la vie. Le rapport de force s’est inversé au fil de ses 3 dernières années. Il a fallu faire des concessions. Les amis, la famille n’ont pas toujours compris au départ. La progression a été rapide. Parfois trop. Avec des erreurs et des moments difficiles en sous marin. Mais je ne le regrette pas et remercie aujourd’hui tout ceux qui ont cru en moi. Que ça soit dès le début ou au fur et à mesure. Peu importe. Et notamment le Ouest Trail Tour qui a décidé de donner sa Wild Card à un petit mec sorti de nulle part et qui court habituellement en short à fleur.

photo : Flowhynot

La suite ?

Plein d’autres belles courses à découvrir, mais concernant la Diagonale rappelez-vous je vous disais au début « plus jamais ! ».
Et bien quelques jours après je commence à réfléchir à quand je la programmerai à nouveau pour tenter un chrono bien plus ambitieux.

J’ai déjà identifié des points comme la gestion des ravitaillements qui a été beaucoup trop longue à mon sens sur cette édition, ou, et c’est un énorme point faible, la gestion des descentes.

En attendant je savoure en essayant chaque jour de penser un peu plus à ce que je viens de réaliser. Car pour une fois, et ça n’est pas coutume, j’éprouve un sentiment de fierté.

Être fou ça n’est pas si mauvais pour la santé !

My trail friends.

// 👟Chaussures : Altra Lone Peak 5 //

// 👕Textile : Altra & Patagonia & Kinetik //

// 🎒Sac : Patagonia Slope Runner 8L //

// 🧦Chaussettes : Stance //

// 🍫Nutrition : Apirun //

// 🥤 Boisson isotonique : Hydrascore //

// ⌚️Montre : Coros Vertix 2 //

// 🧤Gants : Verjari //

// 🔦Frontale : Petzl Nao+ //

 

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